À propos...

Quel est votre parcours artistique ?

 

Je pense que l’on ne se choisit pas artiste, c’est un état de fait, un mode de vie qui s’impose, une « nature d’être ». Dans mon cas, après mes études aux Beaux-Arts, j’ai exploré de nombreux domaines comme le design d’objets et d’environnement 3D pour la communication et la publicité, le packaging, le design graphique. Je ne sais pas s’il y a de l’art dans tout ça, en tout cas c’est une école qui fait travailler les sens, qui apprend à provoquer des émotions, à délivrer des messages. Il y a une vingtaine d’années, j’ai ressenti le besoin de me détacher des outils numériques pour retrouver le toucher, la création manuelle, en suivant une formation de céramiste. Ce retour à la terre m’a en quelque sorte reconnecté avec mes aspirations profondes dont je m’étais un peu détourné. Modeler est un geste ancestral, le premier geste de l’humain avant l’invention des outils qui prolongent le corps. Cette reconnexion à la matière a réveillé en moi le besoin primaire de donner forme, en laissant mes mains libres de parler. Le corps est devenu mon seul sujet.

 

Quelles ont été vos influences ?

 

Je suis curieux et sensible à toutes formes d’art. Lors de mes études aux Beaux-Arts, il y avait deux tendances fortes d’enseignement. D’une part, l’enseignement classique (mais je me rends compte aujourd’hui qu’il était beaucoup plus moderne que je ne l’imaginais à l’époque) avec des professeurs et artistes comme Jean Ricardon en peinture ou Georges Oudot en sculpture et dessin. Et d’autre part, des enseignants « obnubilés » par le mélange des genres artistiques et les concepts : performances, installation, en bref, l’art intellectualisé. Je ne me suis jamais senti à l’aise avec l’art conceptuel, ça n’est pas mon univers.

 

En revanche, je suis très sensible à l’abstraction en peinture, à des artistes comme François Rouan, Olivier Debré, Pierre Soulages ou Claude Monet. J’aime beaucoup le lyrisme de Marc Chagall, les découvertes de Miro, la fantaisie de Ben, les explosions de Jean Michel Basquiat et de Keith Haring, l’invention figurative de Gérard Garouste.

 

En sculpture, paradoxalement, l’abstraction n’est pas mon univers, je m’intéresse à tous les sculpteurs qui ont mis la représentation de l’humain au cœur de leur œuvre comme Auguste Rodin, Antoine Bourdelle, Michel-Ange…

 

Vous créez des personnages, quel est le sens de ce travail aujourd’hui ?

 

Depuis l’Antiquité, l’humain se représente lui-même : pour raconter, témoigner, transmettre des valeurs auxquelles il croit en fonction de l’époque. On représente des personnages mythiques, des héros sociaux, des symboles de croyances dans certaines religions. Quel est le rôle de ces « statues » mise à part la propagande ? Je ne suis pas à l’aise avec ce mot « statue », j’y entends quelque chose de figé, d’immobile, d’immuable, de définitif. L’étymologie du mot nous indique sa racine latine stare : se tenir debout, la racine est commune avec le mot « stable », qui souligne l’immobilité.

 

Je souhaite réaliser l’inverse d’une « statue » : un témoignage du vivant mobile et respirant, dépourvu de symbole. C’est pour cette raison que je ne suis pas à l’aise avec le fait de montrer mon travail en photo. La distance photographique transforme mon travail en objet et le dénature.

 

Vous travaillez exclusivement d’après modèle vivant pour vos créations, pourquoi ?

 

Le plus important pour moi est de partager, de vivre une expérience singulière avec la personne qui prend le rôle de modèle. C’est un don de soi partagé. L’œuvre réalisée a moins d’importance que le temps passé à modeler la terre, la finalité de l’objet n’est pas ma préoccupation, il n’est intéressant qu’en tant que témoin de l’échange. Mon souhait est qu’il puisse évoquer l’histoire des multiples instants de sa création et d’en transmettre les vibrations.

 

Comment se passe vos séances de travail avec un modèle vivant ?

 

Généralement, je choisis le modèle en fonction d’un projet précis. Il peut être choisi pour sa plastique, mais ce qui est prépondérant est sa manière d’être, ce qu’il comprend de mon travail et du projet en question. En général, la posture qu’il prendra n’aura rien à voir avec ce que j’avais imaginé, d’autres fois il ne fera que « révéler » ce que j’attendais. Il n’y a pas de règle. Mon travail n’existerait pas sans modèle « vivant ». Si la pose est compliquée physiquement, nous élaborons ensemble les cadences, des postures intermédiaires pour travailler en alternance certaines parties du corps… C’est un travail de collaboration.

A certains moments, nous parlons, nous faisons connaissance. Il y a également de longues plages de silence et de concentration pour chacun de nous.

Il arrive que plusieurs séances soient nécessaires ; le temps du vrai échange peut être plus long à se révéler.

Qu’est-ce qui caractérise votre travail de sculpture ?

 

Je m’intéresse au vivant, à la respiration. Le modèle n’est pas un objet à reproduire, cela ne présenterait aucun intérêt. Le modèle est une personne qui accepte de participer à un processus où il doit d’abord être lui-même, mon premier travail consiste à mettre en place le contexte de la relation, ancrée dans le présent.

Pour pouvoir capter le vivant, la relation est primordiale.

 

Ces dernières années, vous avez travaillé sur le thème du fils, pouvez-vous nous en parler ?

 

En préambule, j’aimerais dire que ce thème du fils ne doit pas être compris en opposition à celui de « fille ». Sur certains aspects je ne fais bien évidemment aucune différence sexiste.

Je suis un homme et par définition je suis un fils. J’ai avec ce thème une affinité existentielle, essentielle et génétique.

Le thème de la mère et de la fille m’intéresse également et je l’aborderai peut-être par la suite.

Ce thème du fils me concerne et m’intéresse pour plusieurs raisons.

Je suis un fils. J’ai perdu mon père il y a quelques années, cette disparition m’a fait prendre conscience que compte tenu de mon histoire et de mes choix, je n’aurai pas de fils. Je ne suis pas père… je reste fils. Seulement fils.

Je suis concerné par le devenir de notre humanité. Ce sujet me passionne, m’interpelle, m’inquiète, m’amuse parfois. Nous évoluons dans une période de passage, de transition, d’obligation d’évolution. Dans son livre « Rameaux », le philosophe Michel Serres écrit :

« Dans les âges précédents, nul savoir n’eut à concevoir ni conduire de projets aussi vitaux : réinventer l’universalité de l’individu, reconfigurer son habitat, tisser de nouvelles relations. » … « Ou apparaîtra un nouvel homme, citoyen du monde, ou l’humanité chancellera. Nous devons décider la paix entre nous pour sauvegarder le monde et la paix avec le monde afin de nous sauver. »

Pour moi, le fils symbolise cette époque en devenir.

C’est un être à deux faces. D’un côté les promesses, réelles ou illusoires, d’une vie épanouissante, riche de plaisirs et il faut bien le dire autocentrée. D’un autre côté l’environnement humain et social avec tous ses contrastes, ses injustices, ses souffrances inutiles.

Le fils d’aujourd’hui porte encore les séquelles des générations précédentes où les pères n’hésitaient pas à envoyer leur fils à la mort contre d’autres armées de fils. Le père d’aujourd’hui le souhaite-t-il encore ? Le fils en doute.

Le fils doit faire face, décider pour l’humanité tout entière. Il est sensible et désenchanté, enjoué et plein de doutes.

Le fils porte en lui une nouvelle semence, ténue, « hominescente» selon le mot proposé par Michel Serres.

Les chances sont minces, mais chances il y a !

 

Comment avez-vous travaillé avec ce thème ?

 

J’ai entrepris une série de portraits d’hommes jeunes, de fils, choisis au hasard de mes contacts.

Quand je parle de portrait, j’entends le corps dans son entier. Le portrait ne pouvant selon moi se résumer à la tête… Notre corps entier raconte qui nous sommes vraiment.

J’ai donc réalisé une série de sept portraits sur environ deux mois. A raison d’une unique séance d’une journée par modèle.

Je ne connaissais pas ou très peu les modèles avant de travailler avec eux. Mon objectif était de se découvrir pendant la séance de travail, de créer les conditions pour que la personne se révèle et s’ouvre à l’échange.

Même si je suis habitué à être en présence de modèles nus, c’est une situation très particulière lorsque c’est la première fois pour le modèle.

La nudité engendre la vérité, c’est l’épicentre de l’énergie que je cherche à capter.

Pour créer la situation de confiance, en un sens j’ai dû me mettre à nu par le langage, raconter mon travail, expliquer le sens profond de ma motivation.

Du côté du modèle, il y a l’enjeu de répondre à une attente qu’il découvre sur le moment.

Pour ma part, je dois utiliser le temps prévu au mieux, en respectant les rythmes de chacun.

Lors de chaque séance, la relation avec le modèle a été différente, les sculptures réalisées et leurs noms en témoignent : « Le Fils espiègle » « Le Fils désenchanté » « Le Fils engendré » « Le Fils inattendu » …

 

Dans la continuité de ce sujet du fils, vous abordez maintenant le thème du Christ. En quoi cet autre fils vous interpelle-t-il aujourd’hui ?

 

Je me suis toujours intéressé à la représentation du Christ, en peinture ou en sculpture.

Quelle que soit la qualité artistique de la représentation, le symbole est extraordinairement plus fort que la réalité formelle de l’œuvre.

En clair, un machin mal ficelé représentant le Christ revêt tout de même une auréole de sainteté incontestable… Cela indique l’ancrage très puissant de ce « logo » dans notre conscient/inconscient collectif. Et dans le mien également.

Lors d’un séjour à Florence, j’ai pu voir le Christ sur la croix en bois peint réalisé par Michel-Ange dans ses jeunes années. C’est un Christ qui semble très juvénile, à peine pubère avec un tout petit sexe. Mais, par choix, ce Christ est nu. Ce Christ a aussi la particularité d’avoir été conçu dans son ensemble, en trois dimensions, ce qui est très rarement le cas. En général on ne s’intéresse qu’à l’angle de vision principal et de toute manière, la croix nous empêche de voir l’arrière de la sculpture. Dans le cas de cette sculpture de Michel-Ange, la croix est très fine, le corps du Christ est très arqué et détaché de la croix, de sorte que l’on peut apprécier l’ensemble de la sculpture.

Ce qui me touche, c’est le réalisme de la représentation sur l’aspect anatomique, la fragilité enfantine qui émane de l’ensemble. J’y ai vu une personne avant de voir le Christ.

Pour revenir au thème du fils qui me préoccupe, je me suis interrogé sur ce symbole du Christ. Volontairement, je ne me place pas dans le cadre de la religion qui n’est pas mon propos. Je trouve simplement une résonance à mes préoccupations avec le symbole du fils comme passage, comme transformation, comme devenir, comme promesse, comme à-venir… J’ai donc entrepris une série de sculptures sur ce thème.

Quelles techniques employez-vous pour ce travail sur le thème du Christ ?

 

Ce qui caractérise ce personnage est qu’il est suspendu ; la « mécanique » du corps est très singulière car il ne repose pas sur une partie habituelle. L’enchaînement des forces musculaires, actives ou en résistance est réparti de manière très particulière, la pesanteur joue un autre rôle.

J’ai commencé par mettre au point un mode de travail pour le modèle qui doit poser en suspension.

Pour la réalisation de la sculpture, pour être au plus près de la réalité, j’ai imaginé un cadre tendu de fils qui me permet de m’affranchir d’un support fixe et de travailler le modelage en suspension, en l’air, autour de cette armature.

La version finale de la sculpture est en bronze noir, elle est présentée de dos, plaquée contre le mur. De cette façon on voit uniquement le côté du Christ que l’on ne voit habituellement jamais.

 

Je l’ai baptisée : « L’autre Fils ».

 

Le dernier travail que vous présentez s’intitule « Maurizio », qui est-il ?

 

Comme aucune autre énergie créative ne l’a remplacée, la dernière sculpture est encore vive, le cycle émotionnel n’est pas terminé.

Maurizio est danseur contemporain à Florence, je l’avais sélectionné comme modèle pour un stage que j’organisais en Italie pour mes élèves.

Comme nous n’avions jamais travaillé ensemble, nous avions donc prévu une journée de préparation afin de faire connaissance et d’être en phase pour les 5 jours de stage.

Lors de cette session à l’atelier, je réalisais des croquis en terre, nous testions des poses. Maurizio dansait. Il était libre. Rapidement, nous étions en phase. Il enchaînait lentement des postures, des acrobaties. Parfois je lui demandais de s’arrêter afin de mémoriser une pose qui pouvait convenir pour le stage. Puis nous recommencions.

Tout était fluide. A la fin d’un long enchaînement de mouvements où il s’était immobilisé, sans vraiment le décider, mes mains m’ont entraînées vers la réalisation d’une esquisse. J’ai pris plus de terre, je me suis laissé faire…

Par la suite, Maurizio m’a raconté son vécu de ce moment de basculement où il a senti que nous entrions dans une autre phase. Il s’est laissé porter en oubliant la difficulté physique de cette immobilité tout en maintenant la tension de l’expressivité de son corps entier.

Quelques heures plus tard, nous sommes sortis de notre état d’hébétement, épuisés.

Je lui ai proposé de continuer la séance le jour suivant afin de pouvoir réaliser une sculpture plus grande.

Sans vraiment se le dire, nous avons rapidement retrouvé l’énergie de l’échange qui nous avait surpris la veille. La session de travail a été fluide, nous n’avons presque pas parlé.

Lors des pauses, Maurizio regardait la sculpture naître, il semblait fasciné et tout aussi surpris que moi de se voir apparaître dans la terre.

Maurizio est maintenant en bronze noir, témoins silencieux, mémoire enracinée dans la matière.